Sophie Camus Hoguet

Romancière

Libère-Moi – Chapitre 2

CHAPITRE 2 – OISEAU EN CAGE

Visuel de Ezra Scott personnage principal de Libère-Moi

EZRA

… Quatre-vingt-dix-huit, quatre-vingt-dix-neuf, cent ! 

Les images qui défilent encore et toujours dans mon crâne me font contracter les mâchoires. Alors, je continue. Un, deux, trois… Des gouttes de sueur dévalent mes tempes, mais cela ne suffit pas à me faire lâcher. Au contraire, j’ai besoin d’évacuer la merde qui bouillonne en moi. Une rengaine que je ressasse en boucle comme un hamster dans sa foutue cage.

La brûlure qui irradie mes muscles pectoraux après cette série de cent pompes me rappelle plutôt que je ne suis pas encore mort. Tout du moins à l’extérieur, car à l’intérieur, ça fait bien longtemps que je ne ressens plus la douleur. 

J’inhale une bouffée d’air moite et saturé pour reprendre mon souffle. L’atmosphère confinée dégage des effluves dégueulasses : mélanges d’odeurs corporelles nauséabondes, de nourriture et de désinfectant. Me dépenser physiquement est le seul moyen efficace pour compenser l’effet étouffant provoqué par les murs lézardés de ma cellule. Chaque jour qui passe, les parois semblent se refermer sur moi un peu plus. Dans ce trou à rats, je suffoque. 

Le nez plongé dans son journal, Jerry plisse les sourcils, absorbé par un article visiblement passionnant. Pour compenser notre promiscuité, mon codétenu s’abreuve de connaissances tandis que je me shoote aux endorphines. Chacun son truc. 

— Ça y est ! T’as enfin fini de gesticuler ?

Je me frotte les cheveux à l’aide d’une serviette éponge et lui répond. 

— Depuis le temps, tu devrais avoir l’habitude !

— Tu sais quel jour on est ? me demande-t-il en faisant mine de replonger sans son quotidien datant de plus d’une semaine. 

Perplexe, je hausse les épaules. 

— Ezra…

Il secoue la tête avec un sourire en coin. 

— 1er septembre ! Tu as purgé exactement douze mois ! Tu vas demander une conditionnelle ? 

— Bien sûr, qu’est-ce que tu crois ! Même si je ne sais absolument pas quoi foutre de ma vie en sortant, il est hors de question que je fasse du rabe ici. 

— Ouais, j’te comprends. En ce qui me concerne, quoiqu’il arrive, j’en tirerai pour un an de plus que toi. 

Le petit chauve à l’allure d’un premier de la classe grimace en considérant ce fait. Bien que ma seule idée soit de me tirer de là, savoir Jerry seul dans cet enfer carcéral, sans protection, ne me réjouit pas. 

Trois coups secs résonnent dans notre cellule, suivis du déverrouillage métallique de la porte blindée. Ouverture des cages. Aussitôt, Jerry saute sur ses deux pieds et se poste derrière moi. Les muscles encore tendus, tel un bouclier humain pour mon codétenu, j’avance dans le couloir direction le réfectoire. Les rires gras des autres prisonniers investissent les corridors. Je ne supporte plus leurs ricanements féroces et leurs railleries mordantes. 

Instinctivement, je fonce droit vers le buffet avec la respiration bruyante de Jerry dans mon dos. D’un coup d’œil en arrière, je le vois littéralement se liquéfier. Il maintient son regard rivé au sol. Après avoir pioché quelques plats, je repars vers la table du fond. Malgré la présence d’un groupe de racailles posé au bout de la table, je m’installe à ma place habituelle. Les baraqués qui tentent d’intimider les autres, je n’en ai rien à foutre. Peu importe la carrure qu’ils imposent, leurs gros bras ou leurs tatouages menaçants, leurs grandes gueules ne me font pas peur. Peut-être que pour flipper davantage il faudrait avoir quelque chose à perdre. Au moment où Jerry avance d’un dernier pas pour s’assoir à mes côtés, un bras aux veines saillantes et à la peau encrée s’interpose entre nous. Encouragé par la bande de décérébrés restée légèrement en retrait, un type au crâne rasé esquisse un sourire narquois. Le gars se tourne vers mon codétenu sans se préoccuper de ma présence. 

— Alors Jerry ! J’espère que tu as pensé à notre petite conversation. 

Son visage devient liquide. Comme une saloperie de glaçon, il fond devant celui que les autres appellent Killer. Son regard brûlant le somme de répondre. Tandis que mon voisin de cellule se dandine sur sa chaise, j’écrase mon poing sur la table si fort que le bruit de la vaisselle qui s’entrechoque impose un lourd silence dans le réfectoire. Je me lève avec lenteur. Tous les regards se braquent sur nous. Le soi-disant « Killer » visse ses yeux noirs aux miens. 

— Casse-toi ! éructé-je. 

— Ez, laisse tomber, ça n’en vaut pas la peine…

— Si au contraire ! 

— Tu n’as vraiment pas peur pour ta vie, se marre la grosse merde. 

Une sonnerie stridente nous interrompt et la voix d’un gardien crache depuis les haut-parleurs :

— Tout le monde s’assoit ! Ou le groupe du fond retourne dans sa cellule !

Aussitôt, les autres détenus se dispersent non sans se lancer des œillades menaçantes. 

— Merci Ez, ajoute Jerry en s’installant enfin. Pourquoi as-tu pris un tel risque ?

Je plante ma fourchette dans ma purée à l’aspect douteux et l’enfourne dans ma bouche sans lui répondre. 

— Tu dois penser à ta conditionnelle. Si tu te retrouves impliqué dans une bagarre, tu pourras dire adieu à ta remise de peine. Hey ! Tu m’écoutes quand je te parle ?! 

— Et toi, qu’est-ce que tu feras quand je ne serai plus là ? Comment te défendras-tu contre ces types ?


Il te tarde de découvrir la suite ?

Ebook disponible le 29 novembre sur Amazon, Kobo, Kobo + et la Fnac.

Retour en haut