Le prince charmant n'existe que dans les contes de fées

Prologue

Il était une fois…

… une jeune fille qui était aussi belle que son cœur était bon.[1]

Pourtant, elle devait avoir de sérieux problèmes de vue quand on considère le crapaud qu’elle avait failli épouser un an plus tôt.

En dépit de sa prise de conscience in extremis, le mal était fait ; son cœur avait été empoisonné par le vilain crapaud. Le venin circulait dans ses veines, provoquant dans sa vie catastrophes et quiproquos.

Pour se débarrasser du mauvais sort, elle aurait eu grand besoin d’une marraine-fée ou d’une bombe à paillettes pour faire revenir les licornes dans sa vie.

Ou bien fallait-il qu’elle perde une pantoufle de verre ?

[1] Cendrillon ou la Petite Pantoufle de verre, de Charles Perrault, paru en 1697.

Chapitre 1

visuel le prince charmant n'existe que dans les contes de fees de sophie camus hoguet

EN ÉTAT DE CHOC

LISON

Les hommes sont tous les mêmes ! Et croyez-moi, client ou directeur, ça n’y change rien.

Si je suis en retard à mon rendez-vous avec le plus gros client de mon portefeuille, il ne se gênera pas pour me scalper à coup de remarques affûtées. De là, les brimades s’enchaîneront comme les sushis qui défilent sur le tapis de Sushinoa. En découleront de bien pires souffrances quand le directeur de la banque où je travaille sera contraint de valider la demande de transfert de comptes exigée par l’un des plus gros pigeons, euh… clients de son agence. Je me morigène intérieurement pour ce lapsus malencontreux.

Non, vraiment, je ne peux pas être en retard, et pour me le rappeler, mon palpitant martèle ma poitrine furieusement. Je suffoque.

— Non, mais ce n’est pas vrai ! Tu la bouges ta voiture !

Je DÉTESTE travailler en centre-ville ! Reims, ville des sacres des rois de France, tu parles ! En revanche, le type devant moi mériterait d’être couronné « roi des mous du genou » ! Au volant de ma petite voiture rouge, je pleure sans larmes. Je geins de douleur avant même d’avoir mal. Les doigts crispés sur mon volant, je jette un coup d’œil à ma montre. 16 h : l’heure du glas sonne. Courage.

La chaussée enfin libérée, je bifurque dans la rue où je travaille sans omettre au passage de dresser mon majeur à l’intention de l’automobiliste aussi rapide qu’un paresseux sous anxiolytiques. C’est maintenant que les choses se corsent, aussi je concentre mes prières pour retrouver ma place de parking. Je roule, la respiration suspendue, ce qui me donne l’apparence d’un poulpe au bord de l’asphyxie. Dans la grande avenue bordée d’immeubles en pierre, je me sens aspirée dans un tunnel infernal où je ne dispose plus des commandes. Tramway, bus, voitures, piétons indisciplinés et caniches pomponnés bourdonnent. À travers ce fourmillement anarchique, je cherche avec espoir la façade Art déco de mon agence, héritée des Années folles, ornée d’arabesques, de mosaïques et de structures florales qui me donnent le tournis. Trop d’entrelacs, trop de détours, trop de casse-têtes pour moi. Je parle aussi bien du bâtiment que des personnes qui y évoluent. En somme, mon lieu de travail a l’allure d’un gâteau de mariage trop chargé. C’est d’une prétention ! La vision que j’en ai est vraiment différente de celle des Rémois, dont je fais accessoirement partie. À mes yeux, ses colonnes à l’entrée s’apparentent à deux gardes du tribunal de l’Inquisition, ses portes aux ferronneries extraordinaires, aux barreaux de ma prison, et son lustre monumental à un engin de torture dont je n’ai pas encore identifié la finalité.

Dieu soit loué, j’aperçois enfin la signalétique bleu criard. Je suis blasée à l’idée que je suis conseillère dans cet établissement. Toujours en apnée, je passe devant… sans m’arrêter. La mâchoire m’en tombe : pas de place à l’horizon ! Pourquoi la vie est-elle si injuste ?! Il est 16 h 03. C’en est bientôt fini de ma courte existence. Mon client va me faire la peau, mon patron va me faire la peau aussi. Décidément, j’ai toujours le don de déclencher l’hostilité de la gent masculine. Mon ex-fiancé par exemple, qui a atteint le niveau 10 sur l’échelle des pervers narcissiques, ou les clients dont les exigences tutoient le sommet de l’Everest, sans parler de mon patron mi-figue mi-raisin qui cumule tous les défauts, mais avec plus de nuance. Ce n’est pas pour rien qu’autant que possible, je préfère éviter les hommes de leur espèce.

Allez, j’y crois ! J’inspire par le nez une longue bouffée d’air pour calmer les battements de mon cœur qui s’affole et je retente un tour. Peine perdue. Je gratifie mon volant d’une volée de coups. Pas mieux. 16 h 05, je me trouve de nouveau dans l’artère principale.

— Oh oui ! Oh oui ! Oh ouiiiiii !

Juste devant la façade du bâtiment, une toute petite voiture, de la taille d’un pot à yaourt, libère un minuscule espace. Ma bouche s’entrouvre en réalisant la prouesse que je vais devoir accomplir pour m’y garer. 16 h 07, plus le temps de tergiverser, je tente. Avec une confiance aveugle, j’entame ma manœuvre périlleuse. J’y crois. Mon radar de recul s’active et, malgré les alertes stridentes, trois secondes plus tard, je m’encastre dans… un magnifique 4X4 Range Rover flambant neuf. Merde ! Le bruit sourd qui retentit dans l’habitacle me coupe le souffle. Le sapin au parfum de synthèse à l’eucalyptus suspendu à mon rétroviseur en perdrait presque ses épines. Avec la force de l’impact, mes chewing-gums à la fraise ont volé dans les airs. Mince, je n’y suis pas allée de main morte.Pour reprendre contenance, je replace en arrière la grande mèche de cheveux qui barre mon visage, puis je ramasse à la va-vite le bric-à-brac qui s’est éparpillé. Hésitante, j’ose un coup d’œil dans mon rétroviseur tout en collant mon nez sur le petit sachet de lavande relaxante confectionné par mamie Margo, comme si cela allait être suffisant.

Soudain, le chrono me rappelle à l’ordre. 16 h 10, plus le temps, je descends. Après tout, je suis garée, non ? Personne ne réagit autour de moi. Pas vu pas pris. Alors, je claque ma portière à la volée. Un léger accrochage, c’est monnaie courante. Peut-être même que je n’ai pas causé de casse. D’un mouvement, je pivote sur la pointe de mes escarpins, direction mon rendez-vous. Mais rattrapée par ma fichue conscience, je grimace et finis par me décider à constater les dégâts. Oups. L’énorme calandre de ce carrosse des temps modernes chevauche de façon pour le moins suggestive le coffre de ma voiture. Une position tout à fait inconfortable. Je grimace. Fichue conscience ! Maintenant, je n’ai plus d’autre choix que de laisser un indice. Au lieu de perdre une chaussure, je laisse tomber ma carte de visite sur le trottoir. Je garde tout de même l’infime espoir qu’aucun lien ne sera établi avec moi.

Cette fois, plus question de tergiverser, je file. J’inspire une grande goulée d’air, remonte de quelques centimètres ma jupe crayon, écrase ma serviette contre ma poitrine et m’élance dans un sprint final jusqu’à mon bureau. Le claquement rythmé de mes talons sur le sol résonne dans ma tête comme si on sonnait le tocsin. Finalement, je ne sais pas ce que j’ai le plus à craindre : la fureur de mon client, celle de Monsieur Teillé, mon sergent-chef aussi impressionnant que la belle-mère de Cendrillon, ou celle du propriétaire du véhicule de luxe que j’ai embouti.

le prince charmant n existe que dans les contes de fees une comédie romantique de sophie camus hoguet