Le prince charmant n’existe que dans les contes de fées – Chapitre 2
Le prince charmant n'existe que dans les contes de fées
Chapitre 2

UNE PANTOUFLE DE VERRE CONTRE UNE CARTE DE VISITE
ARTHUR
— Je vous rappelle que c’est vous qui souhaitez que je vous confie la gestion des finances de la Maison de Champagne Legrand, et ce, depuis l’année dernière, si ma mémoire est bonne.
— Bien sûr, Monsieur Legrand, évidemment. C’est juste que je suis surpris par l’ambition de votre projet. Opérer une transition écologique de cette envergure n’est pas sans risque.
S’il croit que je ne le sais pas. Les paupières plissées et les doigts entrecroisés, je me rencogne dans le fauteuil qui fait face au directeur de la banque sans le lâcher des yeux. Il ne doit percevoir aucun doute en moi. Nous nous regardons en chiens de faïence. À cet instant, mon côté animal tient plus du fauve que du teckel. Ne révéler aucune faiblesse fait partie du rôle que je dois jouer pour gérer mes affaires. Mon assurance et mon inflexibilité doivent être palpables. Pas de négociation possible. S’il veut remporter les contrats, c’est lui qui doit se plier à mes règles.
— Au contraire, une Maison de Champagne qui veut rester dans la course se doit d’innover en permanence et surtout ne pas se laisser dépasser par les évolutions sociétales. Désormais, les clients sont soucieux de l’éthique et des procédés en phase avec la planète. La Maison Legrand doit aller plus loin et adopter des pratiques encore plus durables dans la production de son vin de Champagne.
Le directeur acquiesce en silence, les lèvres serrées. Inutile de lui exposer mes convictions : les gens comme lui n’entendent que ce qui touche à la rentabilité. La mort de mon grand-père à la suite d’un cancer provoqué par les produits qu’il employait à l’époque dans le traitement des vignes est certainement le cadet de ses soucis. Alors, je renchéris dans son sens :
— Ces adaptations répondent à l’évolution de la demande des clients. Vous n’avez qu’à consulter les derniers rapports de l’Insee. De plus, en misant sur la recherche et le développement, nous pourrons vite accroître notre rentabilité. Êtes-vous un leader, Monsieur Teillé ? Avez-vous les épaules assez larges pour viser haut et vous tourner vers l’avenir ? lui demandé-je, pour enfoncer le clou.
Le banquier s’écrase légèrement dans son siège et ses épaules se détendent. Dans le mille ! Mes arguments ont fait mouche ; Jean-Philippe Teillé de la banque ACL est convaincu. Voilà qui va me permettre de me défaire progressivement de mon cabinet de finance actuel que je ne sens pas prêt à suivre mes ambitions, sans compter le fait que je ne suis absolument pas en phase avec Hugo Marchand, l’un des associés avec qui j’ai pourtant fait une partie de mes études. Le type d’homme dépourvu de l’étoffe nécessaire pour me suivre.
— Monsieur Legrand, je maintiens ma proposition de l’année dernière et vous renouvelle la confiance de notre établissement. J’ajoute que ce serait un honneur de nous associer à une maison de renom comme la vôtre.
À la bonne heure. Satisfait, je serre la main qu’il me tend.
— Dans ce cas, Monsieur Teillé, je vous laisse le soin de me faire parvenir vos propositions.
Sans perdre de temps en mondanités, je prends congé. Je traverse l’énorme bâtiment d’un pas rapide, un léger sourire aux lèvres. Je me retiens encore un peu de desserrer le nœud de cravate qui m’empêche de respirer librement. Aussi, je me concentre plutôt sur la soirée en tête à tête qui se profile. J’accélère le pas en refermant le bouton de ma veste. Au passage, je salue les deux femmes derrière le guichet. Devant leurs yeux brillants, je ne peux m’empêcher de leur adresser un clin d’œil séducteur. Elles s’empourprent et me retournent un sourire béat qui me confirme l’effet que je fais aux femmes. Leur réaction me conforte dans mon manège, bien sûr. Pourtant, une part de moi ne peut s’empêcher de se demander : à quoi bon ?
Lorsque je débouche enfin sur le trottoir, je prends une grande bouffée d’air. Mes poumons se gonflent, mais se vident d’un seul coup quand mes yeux se posent sur ma voiture.
— Oh putain, mon Range !
Je plonge les mains dans mes cheveux, faisant un tour complet sur moi-même afin de me contenir. Qui a fait ça ? Le flot de passants me contourne dans l’indifférence la plus totale. Il ne manquait plus que ça ! Je m’approche davantage en grimaçant afin de faire un rapide état des lieux. Pas de doute, ma voiture immatriculée depuis moins de deux semaines est bonne pour retourner au garage avec son pare-chocs pulvérisé. Aussi, la vision de ma soirée en tête à tête avec le sosie de Selena Gomez s’évapore. De colère, je mords mon poing pour ne pas laisser échapper un cri de rage. Les paupières plissées, je tourne la tête de droite à gauche à la recherche du coupable. Soudain, mon regard est attiré par quelque chose à mes pieds. Une carte de visite.
Lison Courcelle
Conseiller privé
Banque ACL
Belle entrée en matière ! Si cette personne est bien la coupable, elle ne perd rien pour attendre. En tout cas, je me demande bien quel genre d’individu se comporte ainsi. Par acquit de conscience, je scrute encore une fois les alentours au cas où la criminelle réapparaîtrait. Elle se prend pour Cendrillon en me laissant un indice, ou quoi ? Peut-être cherche-t-elle à ce que je la retrouve ?… Excédé, je fourre la carte dans la poche de ma veste de costume avant de tenter d’extraire mon véhicule de cette galère. J’y parviens non sans toucher le poteau derrière. Petit cadeau bonus : maintenant, je suis bon pour aussi refaire la peinture à l’arrière. Je soupire d’exaspération.
Vu l’heure, mon rendez-vous galant tombe à l’eau. Par correction, je vais la prévenir – juste au cas où elle accepterait de le reporter. L’appel bascule dans l’habitacle et la jeune femme répond d’une voix enjouée après une seule sonnerie. Je me racle la gorge.
— Gabriella ? Bonjour, c’est Arthur. Je t’appelle, car je rencontre un léger contretemps… Allô ?
Surpris par ce silence, je marque une pause.
— Allô, Gabriella ?
Un long soupir grésille dans les haut-parleurs.
— Non, moi, c’est Alexandra, rétorque-t-elle d’un ton sans équivoque.
— Oh, désolé.
Je grimace en me frappant le front. Parfois, j’aimerais changer, car je suis vraiment le dernier des connards. Visiblement, c’est une question de famille. Merci maman ! Désormais, mon rendez-vous n’est plus ni d’actualité ni reportable. Tant pis.
Malgré l’heure avancée, je bifurque en direction des bureaux de l’entreprise familiale. Finalement, ce sera encore une soirée en solitaire pour moi. Mais je ne l’ai peut-être pas volée. Dans un carrosse en piteux état, je passe l’énorme portail qui délimite l’entrée royale d’une partie de mes propriétés. Les ferronneries élégantes forment l’initiale dorée de mon nom : LEGRAND. Ce luxe apparent qui fait tourner les têtes ne m’atteint pas. Devant l’hôtel particulier qui abrite un luxueux salon de dégustation pour les visiteurs VIP, nos services administratifs et des salles de réception pour divers évènements, je claque ma portière avec force et fonce à l’étage.
— Qu’est-ce que tu fais là ? Tu n’avais pas un rendez-vous ce soir ? me demande Louis dès que j’entre dans la salle de réunion.
— Et toi ? Qu’est-ce que tu fais encore au boulot ? Tu n’as rien de mieux à faire un vendredi soir ?
— Que veux-tu ? Conscience professionnelle.
Ses tresses dressées sur la tête, mon meilleur ami me renvoie un sourire espiègle pour étayer son excuse. Une rangée de coupes et trois bouteilles de nos dernières cuvées sont alignées devant lui. Il repose le carnet dans lequel il prenait des notes et tend la main pour m’inviter à prendre place dans le fauteuil qui lui fait face.
— Vas-y, raconte. Vu la tête que tu tires, j’imagine que tout ne s’est pas passé comme tu voulais.
— Ça, c’est le moins qu’on puisse dire ! Alors que tout était parfaitement organisé pour que je passe la meilleure des soirées, je sors de mon rendez-vous et je découvre quoi ? Ma voiture pulvérisée !
— Dur. Ton 4X4 neuf ? m’interroge Louis avec sa mine rieuse.
— Évidemment, sinon, ce ne serait pas drôle. Pour couronner le tout, j’ai juste retrouvé une carte de visite près de ma roue.
— Et en quoi ça change tes plans pour la soirée ?
— Eh bien, vas-y, je t’en prie, regarde par toi-même.
Je me décale de devant la fenêtre pour le laisser constater de lui-même.
— Effectivement, il n’y est pas allé de main morte.
— Elle, tu veux dire.
Louis pince les lèvres pour contenir son rire.
— Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle.
— C’est vrai, désolé. Et donc…
— Donc, lorsque j’ai voulu décaler le rendez-vous avec la femme sublime qui m’attendait, figure-toi que j’ai commis une petiteboulette.
— Comment ça ?
— Je me suis trompé de prénom.
Estomaqué, mon meilleur ami recule dans son siège et part dans un fou rire irrépressible.
— Arrête de rire, ce n’est vraiment pas drôle.
— Oh si ça l’est ! D’ailleurs, quand tu arrêteras de traiter les femmes de cette manière, je suis certain que tu récolteras beaucoup moins de problèmes. Les histoires de karma, ça ne rigole pas.
— Dire que je te considère comme mon meilleur ami !
Ma colère monte encore d’un cran, aussi je pense tout à coup à un moyen de l’apaiser.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Un appel à passer. Figure-toi que j’ai des comptes à régler, grincé-je.
Sur mon Smartphone, je saisis nerveusement le numéro de téléphone inscrit sur la carte de visite. Lison Courcelle, je me demande bien à quoi elle peut ressembler. Sûrement une vieille mégère avec des lunettes dont la correction serait sérieusement à revoir. Mais c’est une voix féminine semblable à celle d’une petite souris qui retentit.
— Allô ! Vous avez pulvérisé ma voiture, attaqué-je.
