Sophie Camus Hoguet

Romancière

Libère-Moi – Chapitre 1

CHAPITRE 1 – OISEAU DE MAUVAIS AUGURE

Visuel de Megan Larose personnage principal de Libère-Moi

MEGAN

Toc toc toc. 

Le martellement rythmé d’un pic-bois[1] retentit si fort à l’intérieur du chalet qu’il m’interrompt dans ma discussion. Intriguée par ce tambourinage, je tends l’oreille tout en plongeant les lèvres dans la mousse à la surface de mon café. 

Plus rien…

— … qu’est-ce que je disais ? demandé-je à Eve qui affiche une moue sceptique face à moi. 

Coiffée de son habituel béret rouge, mon amie et collaboratrice hausse les épaules. Tandis que je m’apprête à reprendre le fil de ma conversation, l’oiseau de malheur s’acharne de nouveau. Je grogne. 

— Tu ne crois pas que tu devrais ouvrir ? 

Certes. D’un pas déterminé, je me dirige vers la porte, saisis la poignée et l’ouvre dans un grand appel d’air. 

Non, ce n’est pas un pic-bois. Tel un pingouin, mon oiseau rare est vêtu d’un costume noir et blanc. Gros morceau, ce pingouin ! Il arbore une raie sur le côté de la tête et une huppe peu harmonieuse à l’arrière du crâne. À ses pieds, il porte une paire de bottes flambant neuves.

— Megan Larose ? m’interroge l’oiseau exotique qui visiblement s’est paumé très très loin de chez lui. 

Je plisse les paupières. Que fait cet individu aux pieds palmés sur le seuil de mon chalet en lisière de forêt, parmi les ours, lynx, coyotes, loups, orignaux et nos autres petits protégés ?

Comme seule réponse, je frise mon nez, encore incertaine de vouloir être Megan Larose. Pourtant, il prend ça pour un oui et poursuit. 

— Je me présente. Je suis Rémi Chaval, huissier de justice. 

Tabarnak[2] ! Mes yeux s’agrandissent dans leurs orbites et une odeur nauséabonde se répand tout à coup dans l’atmosphère : celle de l’oiseau charognard qui se tient devant moi. Décidément, les volatiles ne sont pas ma première spécialité… Compte tenu de ma situation, j’aurais dû le flairer à des kilomètres. Désormais, je suis prise comme une proie. 

Devant mon hésitation, mon pingouin se racle le gosier et reprend son discours visiblement bien rôdé : 

— J’ai été missionné par la Banque générale du Québec à Montréal afin de recouvrer votre créance. 

S’il vient pour récupérer les restes, il risque d’être déçu.

Les pas d’Eve résonnent dans mon dos. Alors que je ne lâche pas l’animal du regard, elle m’administre une caresse de soutien sur l’épaule. Par ce geste, elle m’enjoint certainement de ne pas ouvrir le feu. Non, je n’ouvre pas la bouche. C’est préférable, sans quoi je tenterais de plumer le volatile de mes crocs acérés. 

— L’année dernière, vous avez contracté un emprunt de trente-mille dollars[3] pour l’acquisition d’un véhicule tout terrain au nom du refuge Maikan pour lequel vous vous êtes portée garante. 

Face à son exposé détaillé, j’acquiesce, avec les narines de plus en plus dilatées. 

— À ce jour, vous avez plus de trois échéances de retard, ajoute-t-il de sa voix nasillarde. 

Ses mots m’importunent comme de petits cris aigus au son désagréable.

— Soucis de trésorerie, articulé-je avec peine. 

Il chasse l’air du bout des doigts pour éloigner l’embryon d’explication que je tente de lui apporter. Puis, il fouille dans sa serviette en cuir assortie à son pelage luisant aux reflets corbeau, et en extrait une enveloppe blanche. 

— Tenez ! Dernier avis avant saisie ! Vous avez exactement 15 jours à compter d’aujourd’hui pour régulariser vos prélèvements, soit la somme de 1666 dollars, ou… restituer le véhicule qui sera vendu aux enchères. 

Dans un dernier coup de bec, le charognard m’abandonne dans un bruit sec le document entre les mains, puis opère un demi-tour disgracieux sur mon perron. 

— Au revoir Monsieur Le Chacal ! Et bonne journée à vous aussi ! lui asséné-je avec un goût amer en secouant le pli qui me brûle les doigts. 

Côté à côte, Eve et moi regardons l’huissier regagner de sa démarche pataude l’entrée du refuge où est garée sa berline inadaptée à notre environnement. Depuis le perron de mon chalet qui domine le sanctuaire animalier, mon amie observe un silence éloquent jusqu’à ce que le volatile indésirable s’envole pour d’autres cieux afin de convoiter une nouvelle proie. 

Je lâche un long soupir en posant mes yeux sur le papier blanc. Lorsque je les relève, je surprends Jonathan et Mathieu jeter des regards insistants dans notre direction, depuis la passerelle qui mène à l’enclos des orignaux. D’un petit signe de la main, je rassure les deux agents animaliers et regagne l’intérieur. 

— Qu’est-ce que tu vas faire ? 

J’inspire une immense goulée d’air que je recrache d’un coup comme un ballon de baudruche dégonflé. 

— Figure-toi que ça fait des jours que je me triture le cerveau sans trouver de réponse à cette question. 

— Tu savais que ce type allait débarquer chez toi ?

— Non… enfin oui, peut-être. J’ai bien reçu quelques courriers, mais ils me filaient de telles angoisses que j’ai fini par mettre de côté tous ceux estampillées du logo de ma banque. Eve, l’interpelé-je en vissant mon regard à ses yeux couleur glacier. 

— Quoi ?

— Je crois que j’ai fait l’autruche…

— Sans blague ! Maintenant, il ne nous reste plus qu’à trouver une parade de plus pour faire rentrer l’argent dans les caisses. 

C’est officiel. JE DÉTESTE LES OISEAUX. Mieux vaut pour l’espèce qu’aucun d’entre eux n’ait besoin de l’aide du refuge Maikan aujourd’hui. Pour les piafs, repassez demain ! De toute façon, les volières en regorgent. Bêtes à plumes, nous sommes au complet ! 


[1] Nom de deux espèces d’oiseaux de pics présents au Canada et dans le Nord des États-Unis. 

[2] Sacre (juron) québécois « très sympathique » (vulgaire) équivalent à flûte, nom d’un chien, putain, merde et autres jolies expressions similaires. 

[3] 30000 dollars canadiens correspondent à environ 20925 euros. 


La semaine prochaine, tu découvriras le premier chapitre d’Ezra Scott.

Ebook disponible le 29 novembre sur Amazon, Kobo, Kobo + et la Fnac.

Retour en haut